Sara Alexander
- par Jacques BONNADIER, journaliste à Marseille
… pour l’amour de Sara Alexander (1942-2009), auteure, compositrice, chanteuse native de Jérusalem (qui vécut longtemps en Provence,) dont la vie d’artiste fut toute entière consacrée au rapprochement des Israéliens et des Palestiniens, des juifs et des arabes… et au service de la paix entre les peuples.
Il n’y eut pas de spectacle au théâtre Toursky ce samedi 26 octobre 1974. La « vedette » était là, mais il n’y avait pas de spectateurs. Enfin… presque pas : une douzaine tout au plus. Alors, on les fit monter sur scène ; ils s’assirent « en tailleur » sur les planches et elle chanta. Elle chanta cinq ou six chansons par elle composées en hébreu et en français, sur les rythmes de son pays. Ce fut un moment très court et très beau, pour moi très émouvant. Elle, c’était Sara Alexander, une fille d’Israël au regard profond, venue ce soir-là tout exprès de Bonnieux – où elle résidait alors avec son mari et leurs deux petits garçons…
A 11 heures du soir, je rentrais vite fait au journal pour proposer illico le papier qui s’imposait. Tu fais ce que ça vaut! me dit le chef de la « Locale ». Je fis ce que ça valait : cent lignes sur quatre colonnes en tête de la page « arts et spectacles », avec une photo de l’artiste à la guitare prise à la volée par Julien Corbani ; le tout titré : Théâtre Toursky : Sara Alexander, chantre de la paix*.
Notre amitié naquit ce jour-là et elle ne se démentit pas durant trente-cinq ans, jusqu’au décès de Sara dans une clinique de Nice le 28 mai 2009, suivi de ses obsèques quelques jours plus tard au cimetière de Bonnieux. Trente-cinq années jalonnées de rencontres chaleureuses en divers lieux de la région qui l’avait adoptée, à l’occasion de divers épisodes de sa vie d’artiste et de militante.
Mais d’abord, un résumé de cette vie d’une richesse et d’une intensité rares. Naissance le 16 janvier 1942 à Jérusalem d’un père Ashkénaze de Roumanie et d’une mère Sépharade de Salonique. Enfance dans un kibboutz, au pied du mont Carmel. Deux ans de service militaire comme chanteuse et musicienne. Activités artistiques dans la troupe la plus réputée d’Israël et au sein de plusieurs groupes satiriques. Etudes musicales au Conservatoire de Haïfa (1er prix d’accordéon). Premier disque avec le groupe Les Sept Espèces. Existence vagabonde de l’Amérique Centrale à la Scandinavie, en passant par la France et la Suisse.
Installation en Provence en 1967. Elle se met à la guitare et se compose un répertoire personnel aux influences balkaniques, orientales et jazz dont elle écrit les textes, en hébreu le plus souvent – mais qu’elle adaptera vite en français – afin de militer par son chant pour la paix, la justice, la liberté, l’amour, et de mêler sa voix vibrante et grave à celles de musiciens de toutes origines partageant le même idéal. Elle bâtira dès lors une œuvre traduisant sa volonté opiniâtre, jamais découragée, de travailler contre vents et marées à l’accomplissement de la paix : pas une paix volée, coincée entre deux guerres, s’écrie-t-elle, mais une paix réelle et naturelle comme la lumière du jour et le soleil qui sont là et qui nous attendent chaque matin pour nous ouvrir les yeux**.
En hébreu mais aussi en français, en espagnol, en anglais, elle ne cessera de dire d’une voix bouleversante ce que furent les traumatismes du peuple juif et ce que restent les souffrances du peuple palestinien. Elle voulait couper les ailes des fanatismes des deux bords pour que fils d’Israël et fils d’Ismaël retrouvent le chemin de l’entente : Pose ton fusil, mon frère, je pose le mien/Créons ensemble notre lendemain/Pour que nos arbres, nos enfants, nos champs de blé/Nos ciels bleus ne voient plus les barbelés/Vivons en paix, sœur et frère/Bénis par la mer et par l’ombre des oliviers.
J’eus le bonheur de suivre de près la carrière de Sara, d’assister à nombre de ses récitals, donnés par elle seule ou avec d’autres artistes – qu’elle complétait d’interventions fréquentes dans les écoles, les hôpitaux, les usines, les prisons… ; de diffuser ses disques. J’aurais aimé être en 1986 au Festival de Marrakech où elle fut la première chanteuse israélienne à se produire dans un pays du Maghreb. Je fus en revanche le témoin privilégié de son engagement au côté de son ami Abie Nathan, ancien pacifiste israélien, dont le Bateau de la Paix (Peace), un cargo transformé en émetteur de radio, était immobilisé à Marseille, et qui avait besoin pour repartir d’un important battage médiatique. Je l’aidai à mobiliser la presse, à alerter la télé régionale, qui préparait un film sur elle***. Le samedi 19 avril 1975, quelques centaines de manifestants défilèrent sur le port et La Canebière, en offrant aux passants des œillets blancs, et elle-même chanta du haut de l’escalier des « Réformés ». Elle enregistra même dans le studio flottant d’Abie sa chanson Mon frère et moi qui, mieux qu’aucun discours, pouvait expliquer la vocation de La Voix de la Paix.
Formidable, magnifique Sara Alexander dont je garde au cœur le souvenir inoubliable! Et j’entends encore son adaptation de la prophétie d’Isaïe : Je vous chante le jour où le loup habitera avec l’agneau, où la panthère se couchera près du chevreau. Mes frères de leurs épées forgeront des socs et de leurs lances feront des faucilles ; on ne fera plus de mal ni de ravages sur toute ma sainte montagne…
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* Le Provençal », du samedi 28 octobre 1974.
**Lire Shalom ! Salam ! Un combat pour la paix au Proche-Orient, de Sara Alexander. Editions Salvator, 2002.
***Sara de Bonnieux (Jacques Bonnadier, Franck Andron) 26’. FR 3 Marseille, 9 juillet 1975.