Anne Sylvestre
- par Jacques BONNADIER, journaliste à Marseille
… pour dire au revoir et merci à Anne Sylvestre (1934-2020), auteure-compositrice de « fabulettes » et de « chansons pour » les enfants, certes, mais aussi, et surtout, d’une œuvre considérable pour les «adultes »; féministe ô combien, mais tellement plus, tellement mieux ! ; en tous cas, immense poète, mélodiste, et d’une humanité bouleversante.
Je n’ai pas connu ses débuts à « La Colombe » en novembre 1957 ni ses virées incessantes dans les autres cabarets parisiens ; « Le Cheval d’or », « La Contrescarpe », « Le Port-du-Salut »… ; ni son passage aux « Trois Baudets » de Jacques Canetti ni ses premières parties à Bobino et à L’Olympia. Mais deux « 25 cms » ont ensuite paru : en 1961, Anne Sylvestre chante, préfacé par Robert Beauvais, avec Mon mari est parti, Tiens-toi droit, Les Cathédrales, Porteuse d’eau… ; et l’année suivante, La Femme du vent, illustré en pochette d’un éloge de l’artiste par Georges Brassens. Ils m’ont d’emblée enchanté.
Et puis, le grand jour est arrivé. Le 1er décembre 1963, dans la salle de la Mutualité à Paris, j’ai assisté parmi quelque 2.300 spectateurs – dont deux de mes amis chers, férus de chanson – à la première des « jam’sessions chanson-poésie » proposées par le poète et producteur de radio Luc Bérimont*. Cinq artistes sont sur scène auxquels le présentateur propose un mot, un thème choisi par le public, qu’il s’agira pour eux d’illustrer en chantant – en l’occurrence… l’amour, évidemment…, sur quoi ils vont tour à tour « prendre le chorus » selon l’inspiration du moment. Une soirée restée mémorable grâce à Hélène Martin, Marc Ogeret, Michel Aubert, Jacques Doyen et… Anne Sylvestre, enfin découverte ! Un événement !
Depuis lors, je lui ai vouée une admiration et une tendresse sans faille, écoutant et réécoutant ses disques – elle publiera au total 23 albums pour adultes et 18 pour enfants, près de 300 chansons au total – et sans jamais manquer aucun de ses spectacles à Marseille ou dans la région, y compris celui proposé avec sa belle consœur québécoise Pauline Julien : Gémeaux croisés. Ce qui m’a offert maintes occasions de rencontre et de partage avec elle.
Je me souviens avec bonheur du temps où elle s’accompagnait à la guitare, avec en arrière-plan la contrebasse de son mari d’alors, le Marseillais Henri Droux. Et je n’ai pas oublié non plus le soir où je l’ai retrouvée à la Cité de la Musique, sans guitare, avec pour seul partenaire Philippe Davenet au piano. Le récital de ses « cinquante ans de chanson » le 13 janvier 2009 au « Toursky » - une « première » pour elle dans le théâtre de Saint-Mauront – m’a particulièrement marqué. C’était complet, archi-complet ; eh oui ! Car, pour n’être quasiment jamais programmée dans les médias dominants – ceux qui décrètent que vous devez écouter ceci et pas cela – Anne n’en faisait pas moins depuis longtemps le plein de fans de tous âges : des gens de sa génération, comme moi, des gens de l’âge de mes enfants qui ont été jadis bercés de ses fabulettes et, sans doute aussi, de gosses beaucoup plus petits que mes petits-enfants que leurs parents emmènent à ses spectacles croyant y trouver la madame qui chante des chansons pour les enfants, alors qu’elle n’en interpréta jamais une seule en public !***
J’ai retrouvé ce soir-là une auteure-compositrice-interprète qui, depuis un demi-siècle, n’avait pas varié d’un iota sur son chemin de poésie et de musique, chantant toujours la vie, l’amour, l’amitié, la tristesse, la joie, les regrets d’autrefois, les angoisses du futur, les certitudes et les doutes du présent. On la dit « féministe » et c’est la seule étiquette qu’elle n’effacera jamais, pas plus qu’elle ne la brandira à tout propos. Elle se préfère en humaniste. Ses chansons-images, chansons paraboles n’assènent rien, jamais ; elles s’appliquent seulement à traiter avec force et délicatesse à la fois de tout ce qui préoccupent les hommes et les femmes de notre temps – « Ah ! ce n’est pas elle qui vous vendrait du « trou-la-lère » ! – Et ses mélodies ! Simples, limpides, elles coulent de source ! Et sa voix qui passe d’ironie en tendresse sans rien avoir perdu de sa plasticité ni de sa plénitude !
Marqué d’une pierre blanche, également, son concert du 2 septembre 2011 à la MJC de Venelle, en compagnie de la pianiste Nathalie Miravette. Je reste encore tout ému de ces nouvelles retrouvailles avec la dame tant admirée et aimée et, oserais-je dire, plus admirable et aimable que jamais, plus amène, plus rayonnante, plus libre. Aucune femme chansonnière, selon moi, n’avait jamais traduit avec autant de finesse, de subtilité, de tendresse, de drôlerie même les sentiment humains, les choses (grandes et petites) de la vie ni ce que l’on appelle trivialement « les questions de société », Et il était ce soir-là encore terriblement émouvant de l’entendre à nouveau, avec cette poésie et cette musicalité immédiatement touchantes et pénétrantes nous dire ce que chacun et chacune éprouve au tréfonds de soi et nous faire si proches et si complices de son chant.
Une sorcière comme les autres », Douce maison, Clémence en vacances, Les gens qui doutent, Ecrire pour ne pas mourir, Juste une femme, Non, tu n’as pas de nom, Lettre ouverte à Elise, L’habitant du Château, Comment je m’appelle, Laissez les enfants, Xavier, Violette, Carcasse, Les impedimenta, Un mur pour pleurer, lâchez-moi, à ne se voit pas du tout….j’en passe et des dizaines d’autres,, c’est dans un superbe florilège que la chère Anne s’apprêtait à puiser à nouveau pour repartir en tournée au début de janvier prochain. Avec aussi des chansons nouvelles choisies selon mon désir, nous annonçait-elle, mais vous aurez l’impression qu’elles ont été écrites avant-hier, tant elles disent et redisent ce qui me tient à cœur »… Hélas ! nous ne la reverrons plus ! Elle est morte lundi dernier. Tristesse immense et infinie gratitude !
Me restent vivants les souvenirs que je vous ai dits. Et heureusement des images d’elle enregistrées lors de « La Fête aux amis de Philippe Forcioli » le 31 mai 2018 à « L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège ».* Anne Sylvestre est là, en majesté, toute rousseur dehors, entourée de la bande de ses 25 complices d’un soir, attentionnés et tendres, accourus avec elle pour fêter les quarante ans de chanson du poète. Elle chante une chanson de et avec Michèle Bernard ; Madame Anne et toute seule, deux autres de son cru : Flou et Après le théâtre. Puis arrive le moment où me revient la tâche d’une adresse à l’artiste. J’ai préparé mon « compliment » et c’est une déclaration d’amour qui me vient tout à coup à l’esprit et que j’improvise, un peu confus mais d’une sincérité totale, il va de soi, pour traduire les sentiments unanimes des six cents personnes réunis devant nous. Je reçois d’elle enfin comme cadeaux un sourire et un baiser, points d’orgue à ma lecture émue d’un fragment de texte sur l’un de ses mots favoris : Espérance…***
… Mais espérance est bleu/Vous ne trouvez pas ?/Vous ne voyez pas/D’un bleu d’ailes de papillon/entre turquoise et lapis-lazuli/entre lavande et althéa/volubilis et pois de senteur/comme ses bleus que l’on porte au cœur/comme l’azur des paupières fines,/la dentelle des veines au poignet d’un amour/impossible/comme ses yeux/espérance est bleue.
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*Luc Bérimont (1915-1983) poète, producteur et animateur de radio, d’abord au Poste parisien, puis à la RTF devenue ORTF et Radio-France, notamment avec l’émission de France Inter « La Fine fleur de la chanson française ».
** « Philippe Forcioli ; La Fête aux amis ». Un coffret de deux DVD : le concert du 31 mai 2018 (3 h 20 min) et « Des amis au pays de Philippe », réal. Annie Toussaint (36 min). Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..
*** In « Coquelicot et autres mots que j’aime », son seul livre publié (Points