Ginette Garcin
- par Jacques BONNADIER, journaliste à Marseille
… pour sourire un peu en évoquant Ginette Garcin (1928-2010), chanteuse, comédienne de cinéma et de théâtre, auteur dramatique, dont le talent fit durant quarante ans honneur à Marseille, sa ville natale. Et une conteuse impayable, comme en témoigne cette petite sélection de propos par moi recueillis à quelques jours de son 70e anniversaire le 4 janvier 1998*.
« Té, voilà la petite des Bains Garcin ! », c’est ce que disaient les gens quand j’étais enfant et jeune fille en me voyant passer sur la Corniche. Mes parents étaient propriétaires de l’établissement – à l’époque il y avait le bain des femmes et le bain des hommes, eh oui ! Donc, je suis née dans l’eau ! Mon père était capitaine de l’équipe de water-polo du Chevalier-Roze ; c’est lui qui m’a appris à nager dans la mer et je crois être une bonne crawleuse, sur le ventre et sur le dos ! Aux Bains Garcin, j’ai aussi le souvenir d’avoir vu Alibert toute petite et d’avoir chanté pour lui !
Ensuite, j’ai fait onze ans de danse classique, de claquettes ; j’ai travaillé la danse rythmique chez Mlle Bertrand. Puis, j’ai été dans une troupe d’enfants « Les Petits Moineaux » ; on chantait, on faisait des sketches, des revues. Et à 19 ans, je suis montée à Paris. Jacques Hélian cherchait une chanteuse pour son orchestre ; j’ai auditionné à « La Tête d’or » à Lyon, et je suis entré chez lui en 1947 – rejoignant Jean Marco, Francine Claudel, Zappy Max… Je chantais : Monsieur le consul à Curityba, Il allumait les réverbères, La petite Valse… On était une usine à chansons ! Mais au bout de cinq ans, Jacques Hélian m’a virée. Notez que ça ne m’a pas mal réussi. J’ai commencé une carrière de chanteuse et de danseuse ; Olympia, Bobino… Et les succès sont venus…
(On évoque Un Amour comme le nôtre (que créa Jacqueline Boyer), Dans les bras de Jésus, Mon amant de Saint-Jean… Ginette fredonne délicieusement chacun de ses refrains…)
Au théâtre, j’ai fait mes débuts à L’Atelier dans la première pièce de Remo Forlani : Le Bal des chiens. En alexandrins, s’il vous plaît ! A ce moment-là, j’ai eu la chance de rencontrer Jean Gabin. Il m’a dit : Ma p’tite Ginette, quand on a fait du music-hall, qu’on sait chanter, qu’on sait danser, on sait causer ! Y a pas de problème ! Et c’est vrai ! Regardez le nombre de gens de music-hall qui sont passés au théâtre ! Alors qu’il y a peu de gens de théâtre qui viennent du music-hall, sauf un, Reggiani – qui a été lancé par Barbara…
(Je relève la liste impressionnante des films dont Ginette Garcin a été l’actrice : deux Jean-Yanne, trois Tachella, trois Lelouch, des Audiard, des Boisset, des Verneuil…)
Oui, ce sont des souvenirs merveilleux ! J’ai des souvenirs merveilleux avec Cousin-cousine, Dupont-la-Joie, Les Uns, les autres – dont on me parle encore ! J’ai fait aussi un film avec Nelly Kaplan : Charles et Lucie. Il n’avait pas bien marché en France ; il est resté quatorze semaines à San Francisco et j’ai eu une critique formidable.
(On parle du registre, du comique ou du drame, du rire et des pleurs…)
Georges Ulmer me disait : Tu es la bonne femme qui me fait le plus rire dans ce métier et tu as les yeux les plus tristes du monde ! En fait, il est très difficile de faire rire alors qu’il est très facile de faire pleurer. Lorsque l’on sait faire rire, on peut aussi couper tout de suite et, tout de suite, faire pleurer. Je le peux, c’est mon côté méditerranéen aussi, faut pas l’oublier !
(J’évoque ses séries TV – Dans un grand vent de fleurs, Marc et Sophie… - sa « sitcom » à épisodes sur Le Clan des veuves, sa participation récente à la comédie musicale de Didier Van Cauwelaert et Michel Legrand, Le passe-Muraille d’après Marcel Aymé… Et je reviens au théâtre, précisément, à sa carrière d’auteur dramatique et donc à ce fameux Clan des veuves…)
Après le décès de mon mari, Robert Beauvais**, on s’est trouvé un jour neuf femmes veuves autour d’une table et j’ai commencé à écrire la pièce, en pensant spécialement à l’une d’elle, Jackie Sardou. On l’a jouée tous les soirs durant quatre ans aux Bouffes Parisiens ; puis un an en tournée. Ensuite, en pensant à Marthe Villalonga, j’ai écrit Ma mère avait raison. J’ai joué dans la pièce, mais j’ai dû prendre un coach pour apprendre mon rôle ; il est très difficile d’apprendre son propre texte !
(Au passage, on fait allusion à son « accent initial », l’accent de son « terroir maritime » qu’elle a repris dans tel ou tel rôle…)
Il m’arrive en effet d’en user à la demande ; je sais faire aussi très bien « l’accent jambon », celui du haut de la rue Paradis : Bonjour, commont vas-tu, je suis contont de te voir ! »… C’est aussi un accent de Marseille et Marseille reste ma ville. Mes racines sont ici !
(On parlera encore de Louis Armstrong, avec qui elle fit un jour le bœuf ; de sa décoration de chevalier des Arts et Lettres reçue de Charles Aznavour… Et de l’île de Ré où elle a une maison.)
Il y fait moins chaud, l’eau y est plus propre ; plus agitée aussi, mais à un certain âge c’est bon !
(Lui reste à esquisser pour moi une dernière chanson, a cappella et avec claquement de doigts : son dernier tube jazzy :
Le clan des veuves/On se croyait foutues/On a repris l’dessus/Au lieu de se lamenter/Venez vous consoler/Au clan des veuves/Il faut aimer la vie/C’est un’question d’survie/Et se faire une raison/Y a pas d’aut’ solution !...
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*Extraits de l’émission « De Mémoire » (56’) réalisée par Catherine Le Roux. Production Canal Marseille , 1997 (Archives de l’INA)
**Ecrivain, journaliste, producteur de radio (1911-1982)